Et si on causait déconstruction(s) des hommes dans la lutte contre le patriarcat ?
Bon, c’est le moment d’y aller, sans armes et en baissant la tête. Avant de rentrer dans le vif du propos, je souhaite avant de faire quoi que ce soit d’autre, poser le contexte.
Moi c’est Pierre, j’ai 23 ans, je suis une personne assignée homme à la naissance, puis socialisée homme, cis genre, hétérosexuelle et blanche, « le cul entre deux chaises en terme de classe sociale1 » entre un père ouvrier et une mère enseignante. Oui, en terme de privilèges, j’incarne en quelque sorte, dans les représentations collectives, l’image de la norme, j’ai eu cette « chance », de n’avoir connu que très peu d’oppressions dans ma vie.
Il y a à peu près deux, ans, lors d’un voyage à Belfort, un ami, autour d’une discussion concernant le sexisme m’a lâché la phrase suivante :
« - Pierre, tu es sexiste que tu le veuilles ou non et c’est à la fois de ta faute et à la fois pas de ta faute.
- Quoi ? Moi sexiste ? Mais tu me connais, j’ai toujours été animé par un désir de justice et d’égalité. C’est pas possible, je suis pas sexiste arrête un peu. Et puis merde quoi, je suis futur travailleur social, c’est pas possible. »
Le déni. Ah quelle est douce la fragilité de l’oppresseur. Il aura fallu qu’un homme, tienne ces propos pour que l’étincelle, du premier pas de ma déconstruction arrive autour de la thématique du sexisme, triste réalité. Par la suite j’ai continué de cheminer, sans m’informer, en essayant simplement d’être moins dominant dans mes prises de paroles au sein de groupes et/ou de collectifs.

Il y a neuf mois, j’ai débuté un service civique au CRIDEV, association féministe, une équipe de femmes, toutes ayant effectuées un travail de déconstruction et de recherche sur la lutte anti-sexiste et sur les féminismes bien plus important que la plupart des personnes que j’ai pu rencontrer. Seul homme au sein de cette équipe, les débuts n’ont pas été faciles, tombant dans mes travers de sexismes inconscients, il a fallu des mises au point, des remises en questions, pour réussir à sortir de certains de ces travers. Au sein du CRIDEV, j’ai pu effectuer réaliser avec les bénévoles un chantier autour de « La place et posture d’allié.e.s » dans les luttes militantes. Ce chantier avançant, offrant des réponses à certaines de mes interrogations, m’a poussé à aller plus loin. Comment moi, « en tant qu’homme »2, puis-je aider mes collègues à déconstruire ma classe de genre, à lutter efficacement contre le sexisme et l’hétéronormativité ?
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je préfère préciser, que je n’aurais JAMAIS travaillé sur ces questions, si je n’avais pas évolué au sein d’un environnement où ces questions sont centrales, où j’ai l’occasion chaque jour d’en apprendre un peu plus sur le Patriarcat, ses différents visages, ses manifestations, ses conséquences. Le travail que je vais vous présenter par la suite, n’est que le fruit du travail de mes collègues, de mes amies qui ont su m’apprendre et me pousser sur ce chemin.
Je ne suis qu’une conséquence du travail des féministes.
L’université populaire de Nantes avait alors proposé, quelques mois auparavant, un arpentage autour de l’ouvrage de John Stoltenberg « Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité », un titre tape à l’œil et me laissant dubitatif. Dans un désir d’en savoir plus, je lançais ainsi le chantier autour de la « Déconstruction du mythe viriliste ». L’idée, était de partir du postulat suivant « Le patriarcat impacte les hommes en faisant d’eux des dominants, déconstruisons ce qui fait de nous des dominants, analysons le et travaillons dessus »
C’est en accord avec l’équipe, que je décidais, accompagné d’un ami, membre de l’association Grain de Sel, partageant mon point de vue et le souhait de travailler sur la question patriarcale, du point de vue de l’oppresseur, de réaliser un arpentage sur cet ouvrage mais cette fois-ci en non-mixité homme choisie.
Oui en non-mixité homme choisie. 450 intéressé.e.s, 3 pages de compte-rendu, entre 5 et 6h de préparation, de concertations, 13 participants, des larmes, des choses violentes, des remises en questions profondes, 4 livres de plus à lire sur ma table de chevet.
J’ai bien conscience que la non-mixité est un concept militant qui a été créé à l’origine par des personnes opprimées, pour pouvoir avoir des espaces « safe » de libération de la parole, de prise de décisions collective et j’ai bien conscience de la violence que peut avoir cette réappropriation par « l’Ennemi Principal3 » et ses acteurs. Pour autant, il existe une réalité, c’est que des hommes, souhaitant se déconstruire, travailler sur leur propres sexismes, conscients et inconscients existent. Oui dans le pot-pourri, il existe des poires qui restent pourries mais qui ne sont pas chargées de cyanure.
Si j’ai décidé de mettre en place ces temps et d’utiliser un concept qui n’est pas le mien, c’est pour les raisons suivantes :
- Il faut sortir de l’éthique de l’inaction au sein du genre masculin. Il faut arrêter de se dire « qu’en tant qu’hommes », je ne peux rien pour participer à la lutte contre le sexisme.
- Il faut sortir de cette inertie, d’attendre d’être pris par la main, par nos compagnes, nos amies, nos camarades de luttes, pour se déconstruire.
- L’une des notions d’être allié.e, consiste à ne pas prendre la place et l’énergie des premier.ières concernées, arrêtons d’attendre d’être pris par la main alors et travaillons ensemble de notre côté, sur notre propre sexisme.
- Parce qu’être allié.e, c’est déconstruire ses proches, ses pairs et transmettre ses savoirs, afin d’aider la lutte en se concentrant sur les personnes sur lesquelles, on possède un impact direct. Dans le cas présent, on parlera ici de classe de genre.
- Je ne souhaite pas, au travers de ces temps, « protéger », les espaces en non-mixité homme, existent partout au sein de la société et notamment dans les cercles de pouvoir les plus élevés. Je souhaite libérer la parole, travailler avec des hommes souhaitant se déconstruire, travailler sur leur position d’oppresseur pour mieux la désamorcer et éviter la reproduction de la violence.
« Le travail des alliés est d’appuyer les revendications et les principes féministes en étant en lien avec celles qui bataillent déjà pour les faire appliquer et qui souhaitent notre activisme. Mais nous avons aussi à décortiquer notre sexisme et à dialoguer avec les hommes. Nous avons à prévenir leurs violences, à y répondre, voire à nous interposer dans des situations particulièrement extrêmes. Nous avons aussi à les orienter vers l’apprentissage dont j’ai parlé et à les tirer vers des pratiques concrètes d’alliés, loin des discours intellectuels jargonnants[9]. Pour ma part j’ai pu aller dernièrement dans des groupes non-mixtes-hommes de réflexions sur la masculinité avec cette seule intention. Et pour toucher au mieux nos interlocuteurs, il est utile que nous sollicitions notre parcours et le regard critique que nous lui portons. Notre intervention est d’inciter les hommes à sortir de l’égocentrisme, de l’absence de reddition de compte et de l’arc réflexe. […] Notre travail est de pousser d’autres hommes à devenir des traitres à leur classe de sexe et à se désolidariser publiquement des forces de l’ordre masculin. » Yeun Lagadeuc-Ygouf4
Cet extrait, reprends des éléments essentiels, qui justifie l’existence et la nécessité de ses espaces en non-mixité, travailler avec les hommes, autour de leur propre sexisme, leur rapport à la violence, leur rapport au patriarcat.
Ces temps et ce travail, ne pourra pas se faire sans les féministes, puisque comme dit précédemment, celui-ci n’est que la conséquence de leur travail. Les temps en non-mixité hommes doivent exister de manière sporadique, en co-existant avec des temps en mixité. Cependant, chacun d’entre-eux ne peut être préparé seul et encore moins sans l’aval d’une ou plusieurs féministes. Il existe trop de biais, dû à la construction genrée de l’identité masculine, pour qu’un travail comme celui-ci soit pensé par un homme seul, j’affirme que les risques de dérives sont trop importants pour cela.

La déconstruction du mythe viriliste que je mène impacte différentes thématiques, de l’éducation non-genrée dans les écoles à l’éducation à la pornographie et la sexualité chez les adolescents en passant par la déconstruction du sexisme conscient et inconscient chez les adultes.
L’association Paso del Paso, qui réalise des stages de théâtre de l’oppresseur, avec des groupes non-mixtes d’hommes, pour déconstruire leur patriarcat, propose une métaphore que je souhaite laisser ici : « Le patriarcat, c’est un peu comme une maison, je la tiens de mon père, qui la tient lui-même de son père etc… ça fait des millénaires qu’on est dedans, on la connaît par cœur, on obtient ce que l’on veut grâce à elle. Pour autant, aujourd’hui ça suffit, il faut qu’on déménage, il va falloir qu’on aille dans le grenier et qu’on sorte tous les cartons, qu’on les ouvre, qu’on les regarde en face à face, quand bien même la douleur que ça pourrait provoquer. »
Le patriarcat est apparu, d’après le travail de mes collègues, lors du passage paléolithique au néolithique. Des millénaires d’histoire, de dominations, de viols, de meurtres, d’agressions, de tortures. Cette maison qui est la mienne, comme celle de toutes autres personnes socialisées hommes, ça suffit, il faut qu’on se confronte aux vieux cartons qui traînent dedans, qu’on la vide.
Ce texte, n’est pas un mea-culpa, cela ne m’intéresse pas, il faut assumer de faire partie de la classe des monstres, des oppresseurs, des dominants. Refuser cet état de fait c’est déjà être sexiste, c’est déjà être inégal/injuste. Mais pour autant, pour toutes les raisons que j’ai pu évoquer précédemment, il est nécessaire, que nous dominants, à des endroits différents de ce chemin infini qui est la déconstruction du sexisme, participions à la lutte. Nous devons être entourés, pouvoir discuter de nos actions, du chemin parcouru avec des femmes, ce travail est conjoint, pour autant, c’est aussi à nous de nous prendre par la main.
Enfin, je terminerais par m’adresser aux hommes qui liront ce texte. Devenez des traîtres de classe, arrêtez de vous cacher derrière des excuses pour justifier votre inaction face au sexisme. Ne laissez plus passer les blagues sexistes, désolidarisez-vous de vos groupes, prenez conscience de vos privilèges, indignez-vous face à tous propos ou comportements que vous trouvez sexistes. Prenez ce chemin, celui-ci sera semé d’embûches, vous perdrez certainement des ami.e.s, mais vous pourrez-vous dire que le combat que vous menez est juste. Et surtout, ne l’oubliez jamais, vous n’êtes pas seuls. Les hommes qui souhaitent et qui se déconstruisent existent, trouvez-les et continuer ensemble, à faire passer le message.
Pierre M, sous la supervision de ses collègues sans qui cet édito n’aurait jamais existé, Manelle H, Élise B, Emmanuelle A, Élise S.
1 Anthony Pouliquen, « Une autre histoire des classes sociales – Conférence Gesticulée »
2 John Stoltenberg, « Refuser d’être un homme pour en finir avec la virilité », Éditions Syllepse
3 Christine Delphy, « L’Ennemi Principal », 1998
4 Yeun Lagadeuc-Ygouf est un des traducteurs de l’ouvrage de John Stoltenberg. Militant pro-féministe depuis plusieurs dizaines d’années, il tient notamment un blog dont est issue l’extrait cité.