La spiritualité, c’est pas (que) ce que l’on croit ?
Au cours de l’année est né un chantier sur les mouvements écoféministes au CRIDEV, qui est parti d’une curiosité collective quant à ce sujet que nous ne connaissions pas ou seulement partiellement et que nous avions à explorer. Nous avons appris les grandes lignes de ce qu’était l’écoféminisme : un mouvement militant identifiant des causes et des conséquences communes aux systèmes de domination et d’exploitation patriarcale et capitaliste. Puis en creusant encore on s’est intéressé à la spiritualité dans l’écoféminisme, notamment via la chaîne youtube “Game of Hearth”1 qui a une série de vidéos à ce propos partant de la vision de Starhawk2, écrivaine, militante écoféministe et sorcière néopaïenne étasunienne. Gros sujet, qui nous a remué et nous a fait pas mal cogiter. Voilà d’où on partait avant nos réflexions collectives :
“Je ne suis pas vraiment chrétienne, ni croyante et j’ai une formation qui m’incite plutôt à raisonner ma manière scientifique, “rationnelle”. Et pourtant, depuis peu je n’arrive plus à voir tout de manière rationnelle… et j’ai l’impression ,que dans la société occidentale (en particulier en France), toute croyance qui ne fait pas forcément partie d’une religion, va être directement considérée comme une secte… Et c’est un peu de la que part la vidéo [sur la spiritualité et l’écoféminisme] dans l’intro plutôt humoristique : Pourquoi venir parler de spiritualité ?”
“J’ai souvent œuvré à réfléchir à mes émotions, les rationaliser pour comprendre d’où elles viennent, puis réussir à les maîtriser… et ça m’a beaucoup aidé dans certains aspects de ma vie. Mais je partais du principe que les émotions, les passions qui me traversaient n’étaient que fardeau, que ça ne m’avançait pas à grand chose et que pour être heureux je ferai mieux de m’en émanciper au maximum. Parce qu’on sépare systématiquement ce qui est de l’ordre du rationnel et ce qui est de l’ordre de l’émotionnel, en insistant sur la supériorité du rationnel. Toutes les pratiques et toutes les croyances humaines devraient partir de bases 100% scientifiques, avec preuves de réalités matérielles à l’appui et en abordant les choses de manière froide, impassible. A partir du moment où on y met des émotions, des ressentis, on va vers la subjectivité et la subjectivité, apparemment, c’est le mal.”
Cette dévalorisation systématique de tout ce qui ne serait pas purement rationnel, elle s’expliquerait par un dualisme nature/culture instauré par les classes dominantes. Dans cette vision dualiste, le domaine de la culture, qui est celui de la raison, de l’intellect, de la science, appartient aux dominants (basiquement les hommes cis3, blancs, bourgeois…) et les groupes socialement minorisés, comme les femmes, sont relégués du côté de la “nature”, l’émotionnel, l’irrationnel. Ainsi, les premiers auraient la légitimité d’exploiter et de dominer les seconds, de la même manière qu’ils dominent et exploitent le reste du vivant. Seulement, cette opposition nature/culture n’est pas vraiment fondée et n’a pour raison d’exister que la volonté de justifier la domination de ceux qui seraient les raisonnables. Pas très scientifique tout ça. Les écoféministes néo-païennes y répondent en redéfinissant ce qu’est la nature et en la symbolisant par la Déesse, entité immanente et sacrée qui… bon, bon, je vois que ça commence à devenir un peu flou, alors je vous propose d’y revenir après pour clarifier le tout, en commençant par parler des origines de l’émergence de cette spiritualité chez les écoféministes.
Un beau jour, dans les années 1970, des écoféministes constatèrent que les textes religieux judéo-chrétiens qu’elles connaissaient étaient plutôt pas mal patriarcaux et elles en furent bien chagrinées. Mais au lieu de s’en détourner complètement, partant du principe que la religion n’était pas patriarcale en soi4, elles décidèrent de se la réapproprier et de se lancer dans une étude critique de la dimension patriarcale de ces textes. A partir de là, certaines se tournèrent vers les spiritualités néo-païennes et le culte de la Déesse.
La Déesse, elle n’est pas considérée comme une entité à part mais comme une entité immanente : qui est présente en toute chose. Ainsi, elle représente la nature, qui est définie non pas comme un ensemble qui existe hors de l’ordre du culturel, mais comme les conditions matérielles d’existence. En gros, je suis la Déesse ; toi qui lis ce texte tu es la Déesse ; mon chat est la Déesse ; la tartine que tu as mangé au petit-déjeuner ce matin était aussi la Déesse. Elle est une représentation symbolique du fait que nous constituons tou.te.s la nature et que chacune des entités la constituant est sacrée, ce qui signifie qu’elle doit être respectée et valorisée pour son existence propre. Et en partant de ce principe-là, la domination et l’exploitation des un.e.s par les autres n’a pas lieu d’être. Chaque partie doit être prise en compte, même avec des buts et des intérêts différents, pour permettre une co-existence qui n’est pas basée sur des enjeux de pouvoir et de hiérarchie, mais sur une recherche constante de solutions communes. Il y a donc une visée militante à la spiritualité écoféministe : même si un usage personnel peut en être fait au début, il sert à se rendre puissant.e pour avoir la force d’agir et de lutter en collectif par la suite.
Même si dans la théorie cette visée militante collective est claire, une des critiques qui est faite à la spiritualité écoféminisme est le fait d’en faire un usage exclusivement individuel. D’autre part, on y constate des dérives anti-intellectuelles, ce qui rentre encore une fois en contradiction avec la théorie néo-païenne. Une autre critique qui nous intrigue particulièrement car nous n’avons pour l’instant pas récolté assez d’information à ce propos est celle de l’appropriation culturelle5 par les écoféministes néo-païennes dans leur spiritualité. Voici donc notre premier jet de réflexions qui a suscité étonnements et enthousiasme ; à suivre au CRIDEV car l’enquête reste ouverte…
Si envie d’y participer, d’en causer, on vous propose de se retrouver le samedi 27 Mars prochain dans le cadre de la rencontre inter-chantier du CRIDEV…
Édito co-écrit par Sumaq et Chloé

1 Playlist “écoféminisme” de la chaîne youtube Game of Hearth
2 Nous parlerons donc ici de spiritualité chez les écoféministes en ayant principalement Starhawk comme référence.
3 “Cis” est utilisé comme l’abréviation de cisgenre : dont l’identité de genre correspond au genre assigné à la naissance.
4 En soi = en elle-même, par son existence propre et de manière immuable (qui ne peut être changé).
5 « L’appropriation culturelle, c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination », source.