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Édito : « Ni fille, ni garçon : témoignage sur mon vrai genre »

Ni fille, ni garçon : témoignage sur mon vrai genre

Disclaimer : Ce texte est écrit par une personne s’identifiant aujourd’hui comme une personne trans non-binaire, dont les opinions et les analyses du sujet abordé lui sont propres.

Je parle en mon nom et conformément à mon vécu, mon ressenti et ma grille de lecture.

J’utiliserai parfois l’écriture inclusive : un mode d’écriture qui mélange le masculin et le féminin ou qui crée une nouvelle orthographe neutre ; afin de se défaire de la règle grammaticale “le masculin l’emporte sur le féminin” lorsqu’on parle d’un groupe de personnes qui n’est pas exclusivement masculin, ou pour parler d’une personne qui souhaite être genrée au neutre.

I – La division binaire du genre

a) L’identité non-binaire

Je suis non-binaire, ce qui signifie que je ne suis ni une fille ni un garçon. Ou une fille et un garçon à la fois. Ou un peu des deux, dépendant des jours et des contextes, de façon plus ou moins chaotique. Je n’ai que des repères binaires pour me définir, c’est les seuls qu’on m’a donné en grandissant. Alors pardonnez-moi pour l’introduction confuse mais mon identité n’étant pas supposée exister, je me retrouve un peu paumé, autant en théorie qu’en pratique.

Si on en croit la “définition simple et facile du dictionnaire”, premier résultat en tapant “non-binaire définition” dans la barre de recherche Google : Personne qui considère que son identité de genre ne relève pas de la norme binaire, c’est-à-dire qu’elle ne se considère pas comme étant exclusivement femme ou exclusivement homme. Un non-binaire peut remettre en question l’assignation sexuelle à un genre.

On ne reviendra pas sur le fait que la première définition sur laquelle on tombe remet une énième fois en doute notre existence en utilisant un vocabulaire qui n’est pas sûr de nous croire. On n’est pas, on considère qu’on est. En fait, je suis ET je considère que je suis. J’existe et le fait d’exprimer mon existence est un choix politique car il remet en question le système de genre binaire.

On parle ici du système cishétéropatriarcal1 mis en place qui reconnaît deux identités de genre ; “homme” et “femme”, qui correspondraient respectivement à deux sexes, “pénis” et “vulve”. Ça, vous connaissez. On nous apprend tou.te.s étant enfant comment on peut distinguer les petites filles et les petits garçons : avec ce qu’on a entre les jambes.

Seulement voilà, c’est incorrect ; et ne nous apprend-on pas pourtant également que c’est pas beau de mentir ?

b) Le genre est artificiel

C’est biologiquement faux, car contrairement à ce qu’on veut bien nous raconter, nos anatomies sont bien plus complexes et bien moins binaires que “mâle” et “femelle”. Nous sommes loin de tou.te.s naître avec des caractères sexuels primaires et secondaires qui permettent de nous ranger avec certitude dans une de ces deux cases. Et on n’hésite pas à mutiler, médicamenter, traiter les corps afin de les faire correspondre parfaitement aux images qu’on se fait des corps mâle et femelle afin de maintenir l’illusion. (cf explications de fin d’article 1)

C’est aussi sociologiquement faux car cette binarité absolue n’existe que dans les représentations qu’on se fait de nous en fonction du genre qu’on nous colle dessus à la naissance. Les hommes et les femmes seraient différents de par leurs préférences, manières de penser, de ressentir les choses etc, lesquelles seraient déterminées par leurs organes génitaux. Or, on se rend rapidement compte que beaucoup de personnes ne rentrent pas dans cette norme cisbinaire et ne performent pas des comportements attendus pour leur assignation de genre ; c’est notamment ainsi qu’on inventa les garçons manqués, les femmelettes, les folles, les camionneuses et j’en passe. Des mots qui se veulent insultants, désignant des anomalies humaines, des bugs dans le système. (cf explications de fin d’article 2)

Et pourtant, c’est le propre de ce système d’avoir des bugs. On nous présente des archétypes d’homme et de femme auxquels il faudrait ressembler à tout prix, auxquels on devrait être capable de ressembler car ce serait naturel. (cf explications de fin d’article 3) Mais si c’était naturel, on n’aurait pas besoin de nous bourrer le crâne d’injonctions à longueur de temps et de nous pousser très fort dans nos cases en espérant qu’elles soient assez étroites pour qu’on puisse tout juste tenir dedans, sans plus pouvoir bouger. “Comporte-toi comme un.e vrai.e femme/homme”, n’est-ce pas une injonction contradictoire, dans la manière qu’elle a de vouloir nous faire ressembler au modèle qui nous serait inhérent, tout en pointant du doigt notre incapacité à reproduire ce modèle à la perfection ?

II – La représentation

a) La transidentité dans l’œil dominant

Étant un enfant qu’on qualifiait d’étrange (pour des raisons bien précises que je n’expliciterai pas ici), j’ai vite été exclu des groupes sociaux et, de fait, j’ai eu du mal à avoir accès à la compréhension des normes auxquelles je me devais de me conformer, notamment celles de genre. Après avoir essayé de me fondre dans le décor durant mon adolescence, j’ai fini par découvrir via le milieu queer2 (que j’ai commencé à fréquenter en découvrant dans un premier temps ma bisexualité), que je n’étais pas obligé de performer une féminité sans faille et que j’avais l’option d’assumer mon étrangeté en me présentant au monde en tant que personne non-binaire. (cf explications de fin d’article 4) En faisant ça, je me suis vu rejoindre le groupe minoritaire des personnes trans et, qui dit minorité, dit besoin de représentation.

Jusque-là, dans les médias, les seules représentations de personnes trans qui m’étaient données décrivaient des parcours clichés, toujours similaires, car le cishétéropatriarcat impose certaines conditions pour les tolérer. Trans, d’accord, mais s’il te plaît, essaye quand même de ressembler à une personne cis, essaye quand même de te conformer à la norme binaire, fais des efforts pour avoir l’air normal.e car il ne faudrait pas que tu sois trop visible, on en serait tout chamboulé. Alors pour être une bonne personne trans, il faut : être un stéréotype du genre opposé à celui qui nous a été assigné à la naissance ; procéder à une transition physique et médicale complète ; avoir été en grande souffrance psychologique toute sa vie du fait d’être “né.e dans le mauvais corps” ; que ta transidentité soit un gros secret dont tu as honte MAIS, lorsqu’on te le demande, accepter de parler des détails les plus intimes de ton vécu afin de satisfaire la curiosité du grand public sans broncher.

Ça, c’est une représentation qui donne une illusion de tolérance sans trop bousculer l’ordre établi.

Alors quand j’ai entendu que M6 diffusait un reportage Zone Interdite sur la non-binarité, ça m’a interpellé. “Ni fille, ni garçon : enquête sur un nouveau genre”. Ma coloc m’avait fait lire un article qui en parlait ; l’article était pourri mais c’était la première fois que j’avais écho d’une représentation non-binaire dans un média mainstream3. On n’avait pourtant pas que ça à foutre mais on a attrapé nos plaids et nos boissons chaudes et, bien installé devant l’écran, on s’est tapé la quasi-intégralité des quatre-vingt dix minutes de ladite enquête. Et, sans grand étonnement, ce fut une catastrophe.

b) La non-binarité nouvellement représentée

Je me questionne, après visionnage, sur la réelle volonté des “enquêteur.ice.s” à se renseigner et à informer sur la non-binarité tant ce que j’ai vu était un ramassis de stéréotypes, de confusions et de désinformation. On nous y présente la non-binarité comme : 1, un phénomène de mode amené chez les jeunes par une poignée de stars subversives (le terme “phénomène de mode” est vraiment utilisé et comme exemple de célébrité on nous donne Bilal Hassani, qui a pourtant à plusieurs reprises explicité qu’il se définit comme un garçon cisgenre et non comme une personne trans). 2, comme une manière de gagner en reconnaissance et en popularité (où on nous montre une bande d’influenceur.euse.s4 qui font la fête au bord de la piscine d’une villa et qui sont non-binaires pour gagner de l’argent sur les réseaux sociaux, ce qui ressemble fortement à une mise en scène imaginée par un boomer5 ignorant fâché contre les nouvelles générations). Ou 3, comme une espèce de truc incompréhensible et obscur (ça ne le serait pas si les recherches nécessaires avaient été faites mais clairement, ça n’est pas arrivé).

On nous y explique aussi que les personnes non-binaires “ne sont pas trans”. La transidentité étant le fait d’avoir une identité de genre qui ne correspond pas à celle qu’on nous a assignée à la naissance : si, les personnes non-binaires sont trans. Je crois que ça leur était trop difficile, aux enquêteur.ice.s, d’accepter le fait qu’il existe des personnes trans qui ne correspondent pas à une image clichée et arrangeante de ce qu’est la transidentité.

Je pourrais m’étaler encore et encore sur tout ce qui n’allait pas dans ce reportage qui, sous couvert d’enquête, continue de nier insidieusement notre identité et qui ne présente qu’une image erronée de nos réalités, mais je préfère m’arrêter là et mettre mon énergie dans des choses qui en valent la peine.

C’est pour moi cette représentation ? Oh mais il ne fallait pas, non vraiment, j’insiste, je ne peux pas accepter, ça me gêne.

Je n’en veux pas, des représentations de moi qui sont dépeintes à travers les yeux de personnes qui ne me connaissent pas et qui n’ont ni pour but ni pour intérêt de le faire. Il y a encore des moments où, à force de m’entendre dire que je n’existe pas, j’ai du mal à distinguer mon image dans le miroir. Mais je me ressaisis bien vite quand je me souviens que j’ai le soutien de mes pairs et que je ne suis pas seul. Et c’est par cette entraide et cette solidarité que je pense qu’on finira par réussir à faire entendre nos voix, à créer et visibiliser nos propres représentations et, pourquoi pas, à vaincre par K.O le cishétéropatriarcat ?

Édito écrit par Sumaq

1 “cis” est la contraction de cisgenre : dont l’identité de genre est en accord avec le genre assigné à la naissance ; s’oppose à transgenre : dont l’identité de genre n’est pas en accord avec le genre assigné à la naissance. “hétéro” est la contraction de “hétérosexuel” : qui est attiré exclusivement par les personnes du genre opposé au sien. “patriarcal” : relatif au patriarcat ; système de domination et d’exploitation de la classe “femmes” par la classe “hommes”.

2 Mot anglophone signifiant “étrange”, il est au départ utilisé comme une insulte envers les personnes dont l’identité de genre, l’expression de genre ou l’orientation sexuelle dévie de la norme, puis est réapproprié par ces mêmes personnes afin d’en faire une identité dont on peut se sentir fièr.e. Il est aujourd’hui beaucoup utilisé pour désigner l’ensemble de la communauté LGBTQI+.

3 L’anglicisme média mainstream est un terme utilisé pour désigner collectivement les divers grands médias de masse qui influencent un grand nombre de personnes et qui reflètent et façonnent les courants de pensée dominants. (Wikipédia)

4 Les influenceur.euse.s sont des personnes dont la présence en ligne est suivie et appréciée par une communauté relativement large et qui ont pour métier d’alimenter en contenu leurs réseaux sociaux (exemple : Instagram) autour de thématiques diverses.

5 A l’origine, terme désignant les personnes de la génération du “baby-boom” (naissance entre les années 1940 et 1960) ; il peut maintenant servir à désigner des personnes dont les idées sont considérées comme dépassées et rétrogrades.

Explications et précisions :

1 – Lorsque j’écris ce paragraphe, je pense (notamment mais pas que) au 1,7% de la population mondiale qui serait intersexuée  ; c’est-à-dire ayant des caractéristiques sexuelles qui ne rentrent pas dans la division binaire “mâle” et “femelle”. Je ne maîtrise pas assez bien le sujet de l’intersexuation pour me lancer ici dans des explications détaillées, mais les combats portés par les militant.e.s intersexes sont étroitement liés aux combats portés par les militant.e.s transgenres, car pointant du doigt le même système qui impose une division binaire du genre.

2 – Il arrive que des termes originellement utilisés pour dénigrer et insulter des groupes minorisés soient réappropriés par lesdits groupes afin se définir eux-mêmes et donner une nouvelle connotation à ces termes. C’est le cas des termes cités ci-dessus ou du terme “queer” qu’on retrouvera plus tard dans ce texte. La réappropriation de termes originellement insultants est une démarche personnelle et doit rester le choix des personnes concernées.

3 – Les archétypes de l’homme et de la femme correspondant à un modèle non seulement cisgenre, mais aussi hétérosexuel, occidental, blanc, valide, bourgeois (liste non-exhaustive). Dur d’être un homme ou une femme parfait.e sans remplir tous ces critères.

4 – J’ai décidé de me définir comme non-binaire car je ne me reconnais pas pleinement dans un des deux genres “homme” ou “femme” et que je suis plus à l’aise avec cette étiquette qui me permet d’assumer ma non-féminité. Certaines personnes ne se sentent pas correspondre à une norme binaire mais ne se définissent pas comme non-binaires. Certaines personnes qui se définissent comme non-binaires gardent une expression de genre (manière dont on perçoit le genre d’une personne, par exemple par ses comportements ou son apparence) qui renvoie à leur genre assigné à la naissance. Il est important de laisser à chacun.e le choix de l’autodétermination de leur genre.

Quelques ressources pour s’informer correctement sur la transidentité/la non-binarité, avec du travail de personnes concernées

Chaînes YouTube :

https://www.youtube.com/channel/UCK...

https://www.youtube.com/channel/UCR...

Blogs :

https://lavieenqueer.wordpress.com/

https://transgrrrls.wordpress.com/

Comptes Instagram :

https://www.instagram.com/aggressiv...

https://www.instagram.com/salinleon/